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J'ai décidé de vous mettre cet excellent article dans son intégralité, car il vaut son pesant de cacahuètes... Bonne lecture et immaginez les illustrations de circonstance, que vous pouvez déjà trouver dans d'autres posts de ce forum !
Couacs techniques et ringardises, une semaine de Direct 8.
La logorrhée Bolloré
Par Raphaël GARRIGOS et Isabelle ROBERTS - samedi 09 avril 2005 (Liberation - 06:00)
C'est la meilleure chaîne du monde. Rien que pour voir Direct 8, il faut acheter un décodeur TNT. Comment vivre sans Célia qui guinche en direct des dance-floors ? Comment survivre sans avoir vu Tuitui, le poulet géant coincé dans la porte à tambour de la tour Bolloré ? Car c'est depuis les studios installés au coeur du siège de l'entreprise Bolloré, à Puteaux, qu'a lieu la majorité des seize heures de direct quotidiennes. Qu'y voit-on ? Des gens qui parlent, de tout, de rien, mais qui parlent. Pour les téléspectateurs frustrés qui ne voient pas encore Télé-Bolloré (seuls 35 % de la population peut recevoir la TNT pour l'instant), Libération s'est scotché devant Direct 8 depuis le 31 mars.
Jeudi 31, 19 heures. Ouverture de l'antenne ; la très attendue Direct 8 ne déçoit pas. Pendant deux heures, le proprio Vincent Bolloré et son coach cathodique, Philippe Labro, jouent les messieurs Loyal. Leur credo : «C'est comme dans la vie.» Pas de maquillage, pas d'oreillette, ni de prompteur. Comme dans la vie, on ment un peu, dès le lendemain, les visages sont poudrés et les oreilles appareillées. Et comme dans la vie, on n'est pas les rois de la technique, les images tanguent, les cadreurs passent devant les caméras, les micros ne sont pas ouverts... Alors pour meubler, toujours la même musique, une scie années 80 : Moonlight Shadow, de Mike Oldfield. A l'image, les coulisses : loge maquillage, régie, rédaction, Labro qui fait coucou... On a même droit à des plans lascifs de Paris. Mais ce n'est pas pour masquer une panne, non, «c'est pour attirer l'attention sur la pollution dont souffre Paris», explique Bolloré. Ah ! d'accord !
Vendredi, 16 h 30. En attendant l'émission pour enfants Octopuces, on rêvasse sur fond de Mike Oldfield. A l'écran, Bolloré passe à côté de la photocopieuse... Soudain, quatre ludions jaillissent : une fille aux immenses lunettes roses minaude en lolita de bac à sable, un grand garçon mime Titeuf et les deux autres filles roulent des yeux. Un seul mot d'ordre : bêtifier. Et nous apprendre les pas de la Chanson du poisson («qui nageuuu») accompagné par Tuitui (Huit Huit à l'envers, merci de rigoler), la marionnette géante en forme de poulet multicolore. A l'heure où nous imprimons, nous ne savons pas qui, de Labro ou Bolloré, est à l'intérieur de la bête.
Samedi, 18 heures. «Carried away by a moonlight shadow...» introduit Dieu, merci, l'émission religieuse. Ne pas oublier que Bolloré est catholique pratiquant. 22 h 45. A en croire un invité de Zap' 8, consacré à la télé, Direct 8 est une héritière de Droit de réponse de Polac, où tout pouvait arriver. De fait, d'un coup, ça chauffe ! Un papophile se prend le bec avec un papophobe. Ça s'allume un instant, puis tout redevient sage, si sage... Chez Bolloré, les émissions sont aussi compassées que si elles étaient enregistrées, seuls les couacs rappellent qu'on est en direct. Résultat, un furieux air de télé des années 70.
Dimanche, 1 heure du mat. Plus la peine de sortir, Boîte de n'Huit est là. En direct, depuis une discothèque de Nanteuil-lès-Meaux, Célia hurle dans son micro au milieu des danseurs. Soudain, elle avise une blonde actrice, de Hell, «un film produit par Yannick Bolloré». Homonymie ? Non, logique de groupe : Yannick, c'est le fiston... Midi. Logique de groupe encore. La patronnesse fondation Bolloré est à l'honneur dans Solidarités et deuxième chance. Grâce à ses subsides, un jeune s'est reconverti dans l'aide au quatrième âge. L'animatrice, assurément l'employée du mois : «Y seriez-vous arrivé sans la fondation ?» La réponse est non. 19 heures. Nous voilà Face à Alain Minc. Un étudiant pose une question, et hop, la machine à idées reçues se met en marche. La mort du pape ? «Une alchimie entre la scène médiatique et une institution hors du temps.» Le référendum ? «Une traduction gaulliste du plébiscite romain.» Même sur le foot, Minc a un avis : «Je suis pour un changement rapide d'entraîneur...»
Lundi, 14 heures.On quitte la tour Bolloré pour le Mac Mahon, salle de cinéma parisienne de Bolloré. Là, le patron du cinoche, et une Laurie au décolleté cinéphilique nous présentent la séance du jour, généralement un nanar en noir et blanc, généralement avec Pierre Mondy.
Mardi, 21 h 15. Point de croisières ni de millions d'euros à gagner dans le jeu de Direct 8. Dans Jeu sans enjeu, on s'amuse entre jeunes et c'est marre. Et à quoi joue-t-on à ce prix ? Au jeu du bac, au Pictionnary... Inconvénient, on se fait suer comme à une réunion de boy-scouts.
Mercredi, 20 heures passées de quelques Moonlight Shadow. Les tauliers tiennent la baraque. Philippe Labro d'abord avec son attention, il y a un jeu de mots Blog-notes, où il est question de faire la promo de la chaîne et de faire découvrir des petits nouveaux des médias (un certain Alain Duhamel totalement inconnu). Labro débarque sur le plateau après un faux départ tout de même , ses dossiers à la main. A 21 heures, Bolloré soi-même vient présenter la soirée de théâtre en direct : une pièce écrite par De Gaulle à 15 ans, misère. Le metteur en scène, Jean-Luc Jeener, accède enfin à la reconnaissance du public. Faut dire que c'est un copain d'enfance de Bolloré. Ça aide.
Jeudi. On en a un peu marre de Direct 8. Certes, la journaliste qui fait son flash info en récitant le match de foot de la veille sans la moindre image, c'est kitsch. Certes, les caméras qui vacillent, les micros muets, c'est rigolo et ça fait du stock pour les Enfants de la télé. Mais on songe aussi aux télés associatives écartées de la TNT par manque de financement, quand Bolloré fait une télé amateur à coups de millions. Pourtant, impossible de décrocher : la caméra, montée sur rail, s'avance lentement le long d'un couloir aux portes bleues. S'arrête, pivote et, en plongée, se fixe sur deux personnes.
Bon sang mais c'est bien sûr : Direct 8, c'est Loft Story ! De l'autre côté de l'écran, c'est pour le téléspectateur la même addiction : ne surtout pas manquer l'instant où quelque chose surviendra. Quoi ? Comme dans le Loft : rien.
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