Nota : tout ce qui suit est une fiction, malgré certains éléments empruntant à la réalité. En littérature, on appelle cela l'uchronie : qu'est-ce qui se serait passé si ?... J'ai voulu appliquer ce principe à la télévision française, en tentant d'imaginer, en douze parties, ce qu'elle serait devenue si un groupe de télévision privée, semblable au groupe anglais ITV, avait émergé au milieu des années 60. J'ai essayé de mettre en évidence l'importance de la politique dans les médias, les problèmes financiers, l'importance de séduire le téléspectateur...
Il ne s'agit pas là de regretter un temps révolu. J'ai fait ça d'une part pour m'amuser - et pour vous amuser aussi j'espère, j'ai pas tapé tout ça pour rien, hein ? -, et d'autre part pour montrer qu'en télévision comme ailleurs, les révolutions ne tiennent qu'à un fil.
Au fait : ça me ferait très plaisir si quelqu'un, sur ce forum, essayait de mettre en image les différentes chaînes imaginaires que je décris. Histoire de donner un peu de vie à la fiction !
Une histoire alternative de la télévision française
1. LA GENÈSE DE TCF
Au début de 1966, la télévision française comporte deux chaînes en noir et blanc, sous le monopole d’État de l’ORTF, organisme crée deux ans plus tôt en remplacement de l’ORTF.
Depuis quelques temps, les téléspectateurs, de plus en plus nombreux en ce milieu des années 1960, se plaignent de la morosité générale des programmes de l’ORTF et des suppressions d’émissions populaires comme « La caméra explore le temps ».
Ils se plaignent également de la mainmise du gouvernement sur l’information : trois ans plus tôt, n’est-ce pas le ministre de l’Information lui-même, Alain Peyrefitte, qui est venu sur le plateau de Léon Zitrone présenter aux téléspectateurs la nouvelle formule du Journal Télévisé ?
De plus, les élections législatives se rapprochent. La gauche est en nette progression dans les sondages ! Dans ces conditions, il faut donner aux téléspectateurs-électeurs l’impression que la télévision française est libre et indépendante du pouvoir, sans pour autant lâcher les rênes de l’ORTF.
L’idée d’une troisième chaîne privée fait peu à peu son chemin dans le gouvernement Pompidou, malgré les réticences d’une partie de la majorité, encore très étatiste, à l’instar de la gauche
En mars 1966, le député UNR Joël Le Tac remet son rapport au gouvernement. Il préconise la création d’un troisième réseau de télévision : un réseau privé, cette fois-ci, et financée par la publicité de marque à raison de 8 minutes par heure ! Solution commode : l’ORTF n’en diffuse pas.
Pour éviter les excès de la télévision commerciale à l’américaine, Le Tac préconise un réseau composé de plusieurs stations régionales, à l’instar du réseau anglais ITV. Ces stations ont un cahier des charges bien précis : si elles ne les respectent pas, elles peuvent tout simplement se voir retirer leur autorisation d’émettre, d’une durée de 10 ans, au profit d’une autre station !
Les stations régionales appartiendront aux groupes de presse régionaux, en majorité favorables à la droite. Bien sûr, à l’antenne, on fera mine d’être un peu plus impertinents que les journalistes de l’ORTF, pour avoir l’air indépendants !
Il y aura de nombreux décrochages régionaux à l’antenne. Chaque station du réseau produira une partie du programme national. Le nom du réseau national : TCF ! Les informations nationales seront produites par une filiale des Actualités Pathé : ITC.
2. LES DÉBUTS DE TCF
Les premiers Français à bénéficier de la troisième chaîne sont les téléspectateurs de la région parisienne, du Nord et du Sud-Est : les stations TPN (Télévision Paris-Nord), TRS (Télévision Rhône-Saône) et TVS (Télé-Soleil) commencent leurs émissions le dimanche 27 novembre 1966 à 19 heures, avec un gala présenté par le jeune et fringant Michel Drucker.
Les autres stations suivent : TGO et TSO se lancent le dimanche 11 décembre 1966 à 19h : c’est cette fois la speakerine Denise Fabre, transfuge de l’ORTF, qui souhaite la bienvenue aux téléspectateurs de l’Ouest !
Enfin, les téléspectateurs du Centre et de l’Est de la France se voient offrir un beau cadeau de Noël : le 25 décembre 1966 à 20h30, TBC (Télévision Bourgogne-Centre) et TEF sont inaugurées par le chanteur Sacha Distel, qui lance sa nouvelle émission de variétés : « Sacha, t’es bath ! »
Le succès de TCF est foudroyant, d’autant plus que le réseau hertzien s’est déployé remarquablement vite ! Pour comparaison, la deuxième chaîne de l’ORTF ne couvrira l’ensemble de la France qu’en 1973.
Au début de février 1967, les premiers chiffres d’audience filtrent dans la presse : TCF emporte 55% de l’audience ! La première chaîne plafonne à 35% ; la deuxième chaîne atteint un dérisoire 10%. Les journaux d’ITC sont également très suivis, et font jeu égal avec les « Télé-Midi » « Télé-soir » de la première chaîne.
La clé du succès, c’est un ton novateur : en mai 1967, TGO lance une émission de variétés destinée aux jeunes, « Atomic Musique ». S’y produisent, dans un décor psychédélique conçu par Jean-Christophe Averty, des artistes prestigieux : Serge Gainsbourg, Julien Clerc, les Beatles, les Moody Blues, Jimi Hendrix….
L’émission fut accusée à de nombreuses reprises par la presse et par des membres de la majorité d’être un « foyer de subversion et d’anarchie ». Ce n’était pas si faux, vu que l’émission fut supprimée en janiver 1969, après que Lou Reed, le chanteur du groupe Velvet Underground, ait exhibé son fessier pendant l’émission, en direct, devant 10 millions de téléspectateurs ! L’affaire faillit même coûter sa licence à TGO….
Malgré sa courte durée, on ne peut s’empêcher de penser qu’ « Atomic Musique » fut en partie à l’origine de la vague hippie… l’été 67 n’était-il pas « l’été de l’amour » ?
À suivre...